Accueil/« Quel que soit le territoire, la mobilité doit s’affranchir des clivages transport collectif-voiture et public-privé. »

« Quel que soit le territoire, la mobilité doit s’affranchir des clivages transport collectif-voiture et public-privé. »

3 questions à Claude ARNAUD – Fil d’actu MIC Mobility Inspiring Concept

 

Entre urgence climatique, coût de l’énergie et besoins de mobilité en forte croissance, le transport public cherche sa voie. Claude Arnaud prône un changement radical de modèle pour repenser la mobilité dans les territoires.

 

Face aux transformations en série, quelle est l’urgence pour les collectivités ?

Dans un territoire confronté à des transformations en profondeur, la mobilité reste une préoccupation majeure des collectivités. 80% des déplacements s’effectuent toujours en voiture individuelle même pour des trajets de moins de 5 kilomètres. Nombre d’élus cherchent des solutions pour développer une mobilité plus propre, moins énergivore et mieux adaptée à l’étalement urbain. En 2022, le secteur du transport affiche le même volume d’émissions de gaz à effet de serre qu’il y a 20 ou 30 ans alors que tous les autres secteurs – bâtiment, industrie, agriculture notamment réduisent significativement les leurs. Même en tenant compte de l’augmentation des déplacements pendant ces 20 dernières années, le secteur du transport est celui qui a fait le moins d’efforts pour se décarboner. Parmi les causes, deux visions continuent à s’affronter, dénonçant d’un côté l’inefficacité du transport collectif, de l’autre, l’impact écologique et les nuisances de la voiture.

Plusieurs problèmes supplémentaires complexifient le paysage. Le transport public souffre d’une insuffisance d’investissement. On le constate ces temps-ci en Ile de France, les réseaux de transport public – RATP, SNCF – ou privés comme Optile, sont déjà saturés. Ils seraient incapables d’absorber plus de voyageurs même en cas de fort report modal de la voiture sur les transports publics. Malgré l’amélioration apportée par le Grand Paris Express, le réseau ne couvrira que 66% des besoins de la région laissant 33% non couverts. Dans ce contexte, quel sera le paysage dans 30 ou 40 ans ?

Ainsi, aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, la voiture reste le premier mode de déplacement des Français. L’enjeu n’est plus tant de se passer de l’automobile mais plutôt de mixer transport public et voiture.

 

Comment les collectivités peuvent-elles concilier transport public et voiture ?

La question renvoie à celle du modèle économique du transport public. Depuis 40 ans, le fonctionnement qui préside dans les collectivités n’a quasiment pas changé : 80% des déplacements sont toujours effectués en voiture, 20% par d’autres moyens, train, tramway, métro, marche à pied, vélos. Actuellement, le modèle de financement du transport public repose sur trois sources : le versement mobilité – impôt dit de production pour les employeurs de plus de 11 salariés, la part payée par le voyageur et la contribution de la collectivité et éventuellement de l’Etat. Ce modèle économique en vigueur depuis la loi LOTI a atteint ses limites et notamment depuis le Covid car les réseaux de transport ne fonctionnent plus à 100% de leur valeur nominale : la baisse de la demande a entraîné une baisse de l’offre. La pénurie de conducteurs- environ 10% de l’effectif – contribue à la baisse de qualité de service, de fréquentation et à la diminution des recettes, accélérant ainsi le déficit de la plupart des collectivités. A cela s’ajoute l’augmentation des coûts de l’énergie qui n’ont pas été compensés. À titre d’exemple, en 2022, du fait de l’augmentation des prix de l’énergie, la région Île-de-France a payé 950 millions d’euros de surcoût sur un budget de 11milliards. On le voit, d’un côté, le transport public, du fait d’un déficit d’attractivité, peine à recruter et doit fonctionner avec un déficit de plus de 2000 conducteurs. De l’autre, le modèle économique est tel qu’il est quasi impossible d’augmenter les ressources d’investissement.

 

Justement, en dépit d’un financement pérenne du transport public, y a t-il des solutions ?

Des évolutions se dessinent. Le Groupement des autorités responsables du transport (GART) étudie 7 pistes d’innovation. En filigrane, une question majeure s’impose : peut-on faire mieux pour moins cher ? Depuis des années, les entreprises ont appris à réduire leurs coûts, c’est moins vrai au sein des entreprises et services publics qui ont des difficultés structurelles à se réformer.

Si les deux secteurs automobile et transport public parvenaient à sortir de leurs silos respectifs, à observer les déplacements sur un territoire donné à travers une vision prospective et globale, de nouvelles solutions pourraient émerger. Par exemple, regrouper les coûts de l’automobile et ceux du transport public, optimiser les fonctionnements de manière à équilibrer les coûts respectifs pour le même prix. Même si nous ne sommes pas loin de lever la plupart des freins technologiques, il reste les freins financiers et surtout une forte résistance au changement. La vraie difficulté est d’accepter de se parler et d’essayer de concilier des logiques public-privé parfois très différentes.

Depuis 15 ans, on construit 10 000 voitures pour un autobus, le secteur automobile a donc pris de l’avance en matière de R&D. Quant aux progrès du MAAS -mobility as a service-, ils viennent essentiellement du numérique et des sciences de l’information. C’est en tirant parti des avancées prises par le secteur automobile et en intéressant les industriels au monde du transport public que la mobilité pourra faire l’objet d’une planification long terme, jusqu’à présent peu compatible avec le temps électoral. On le voit, les ingrédients sont là pour évoluer. Il manque ce travail en réseau et une vision systémique de la mobilité pour réinjecter de l’ingénierie dans les collectivités locales, renforcer la coordination et la coopération entre tous les secteurs du transport et planifier les bons investissements dans les territoires suivant leurs singularités.

 

Spécialiste de l’innovation, Claude Arnaud, est président de l’Institut de recherche et Développement Efficacity dédié à la transition énergétique et écologique des villes. Membre du conseil scientifique du GART, il a travaillé dans le groupe Veolia Environnement notamment en tant que responsable de l’innovation chez Veolia-Transdev. Il est associé chez MIC Mobility.

Date : 12 juin 2023

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